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Mythes et réalités de l’internet des objets

12 janvier 2016.

L’Internet des objets, Internet of Things en anglais, a longtemps fait figure de mythe et a engendré des craintes parfois irrationnelles. Il recouvre le large domaine des objets connectés à usage autant grand public que professionnel. Pour l’essentiel, ces objets sont des dispositifs dotés de capteurs enregistrant des données du monde réel et les transmettant via le réseau Internet. Ils ont parfois la capacité de rétroagir sur leur environnement direct en fonction de données issues de leur programme interne ou reçues du réseau (télécommande). Ils peuvent également être interconnectés entre eux, via Internet ou réseau local (souvent sans-fil) suivant la distance qui les sépare.

Aujourd’hui, si l’image commune du grille-pain connecté peut faire sourire, l’Internet des objets s’est imposé et aucun domaine d’applications, notamment industrielles, ne semble pouvoir lui échapper. D’ici peu de temps, ce sont des dizaines de milliards d’objets communicants qui seront connectés au réseau, générant un volume global de données défiant l’imagination. En Corée du Sud, pays champion en la matière, il est estimé qu’il existe déjà 38 objets connectés pour 100 habitants, et au Canada, c’est presque 12 (chiffres 2015 de l’OCDE).

À l’avenir, de très nombreux objets de notre environnement quotidien vont produire des flux continus de données, monitorés et analysés par des ordinateurs. Ils seront indispensables au développement de concepts nouveaux comme la Ville intelligente. Ils ouvrent la porte de l’informatique ubiquitaire (omniprésente), ou intelligence ambiante, qui constitue une évolution technologique de grande ampleur.

1. Les objets communicants vont faire exploser Internet

Le risque de saturation des infrastructures de l’Internet est une inquiétude légitime, mais les écueils ayant été identifiés, des parades ont déjà été mises en place. Le principal danger était celui de l’adressage, chacun de ces périphériques nécessitant souvent une adresse unique sur le réseau. Les estimations pour 2020 allant de 25 à 30 milliards d’objets et l’espace d’adressage classique de l’Internet (IPv4) ne proposant qu’environ 4,2 milliards d’adresses IP, le développement de la technologie allait droit dans le mur. Cette limitation est en passe d’être résolue avec le déploiement croissant du nouveau protocole d’Internet IPv6, qui autorise un nombre d’adresses inépuisable (2128, un peu plus de 340 undécillions).

D’autre part, ces objets communicants ne sont pas nécessairement chacun directement reliés au Net, mais disposent de leur infrastructure propre, un réseau local, que ce soit à l’échelle d’une habitation (domotique, maison intelligente) ou d’une cité (ville intelligente), ce qui limite leur pression sur les infrastructures collectives. Ce réseau peut même être d’envergure très restreinte comme l’est un réseau personnel sans fil (WPAN, Wireless Personal Area Network) ; un exemple commun est la liaison entre une montre Apple Watch et son iPhone.

2. Mon grille-pain sera la cible des pirates

Ce n’est pas une impossibilité. Ce qui fait peur dans l’Internet des objets, c’est que les attaques auparavant circonscrites au virtuel pourraient avoir des conséquences immédiates dans le réel, comme carboniser vos toasts. Plus grave, il a été montré dernièrement que des automobiles Jeep Cherokee pouvaient être piratées, abandonnant à des personnes par forcément bien intentionnées le contrôle à distance de l’air conditionné, la radio, les essuie-glaces, l’accélération et le freinage, etc. Après cette démonstration, Chrysler a dû rappeler en juillet plus de 1.4 million de véhicules.

Toute technique a ses faiblesses et les applications sont encore jeunes. L’importante leçon est que la sécurité est primordiale à tout projet d’objet connecté, quelle que soit son envergure, et elle ne doit jamais être traitée inconsidérément. Une possible défaillance de la sécurité n’est pas un argument pour arrêter le développement de la technologie : si l’on avait appliqué excessivement le principe de précaution par le passé, nous n’aurions probablement pas de trains ou d’avions, ni d’informatique ou de réseau Internet. Tout projet informatique en général doit être mené avec rigueur, professionnalisme et avoir en permanence la sécurité au cœur de ses préoccupations.

3. Mon électroménager va m’espionner

L’idée que la multiplication des capteurs, que ce soit au travail, dans la rue ou au domicile, puisse permettre des intrusions dans votre vie privée n’est pas non plus à prendre à la légère. La question est souvent directement reliée à la précédente, celle de la sécurité, mais son périmètre est plus large, vos données peuvent aussi attirer d’autres entités qu’un simple escroc : un commerçant, une entreprise, une organisation, un gouvernement. Ainsi, vos données personnelles issues d’objets connectés peuvent vivement intéresser, par exemple, une société d’assurances qui offrira un rabais en échange de l’installation d’un mouchard qui traque vos déplacements et votre comportement au volant. Dans ce cas, c’est vous même qui acceptez de céder une partie de votre vie privée contre une rémunération — ce qui paraît convenable tant que vous êtes bien informé que l’on vous surveille et que l’on ne vous l’impose pas.

Cela étant dit, ces menaces potentielles sur la vie privée n’ont pas attendu les objets connectés pour s’exercer dans d’innombrables domaines. Il ne faut en la matière ni céder à la paranoïa, ni à l’angélisme. Le monde des objets connectés est avant tout destiné à améliorer les conditions de vie, l’environnement, la santé, etc. mais aucune technologie n’est en soi sans risques. Cesseriez-vous d’utiliser Internet seulement parce votre vie privée est possiblement mise en péril ? Les standards ouverts d’Internet et de la Toile ont permis de créer d’immenses opportunités socioculturelles et économiques, il en sera sans doute de même pour les objets connectés. Et l’Internet des objets ne fait pas naître en lui-même de nouvelles problématiques de protection de la vie privée, il élargit le champ du préexistant en augmentant le volume de données générées.

4. Tous ces objets qui se parlent, ça fait peur

Non, un accès de folie de votre réfrigérateur connecté ne va pas entraîner la fusion d’un réacteur nucléaire. La communication des objets connectés entre eux est une exception, souvent pour des objets de même nature ou d’usage proche. Les objets ont généralement en commun un protocole de communication (TCP/IP) et un formatage des données échangées (XML), pas beaucoup plus, et ils ne parlent pas la même langue, leurs fonctionnalités étant très hétérogènes. À cet égard, l’expression Internet des objets est un peu trompeuse, il ne s’agit pas en soi d’un nouveau réseau, mais d’un ensemble de périphériques hautement spécialisés aux vocations et architectures infiniment variées.

5. L’Internet des objets, c’est dans le futur

Non, c’est déjà le présent. Les technologies existent et les objets connectés font appel à des briques matérielles (capteurs, microcontrôleurs, microprocesseurs, etc.) et logicielles (protocoles de communications, systèmes d’exploitation, langages, etc.) qui sont robustes et communément utilisées. Les applications se font chaque jour plus nombreuses et diverses. Beaucoup sont inconnues du grand public car elles sont industrielles. D’autres deviendront si banales qu’on oubliera que ce sont des objets connectés.

6. C’est le domaine réservé de grandes compagnies

Par nécessairement et loin de là. La conception d’objets connectés qui font appel à des technologies et standards ouverts est abordable et ne demande pas obligatoirement de gros moyens. Ils peuvent répondre à des problématiques d’entreprises plus modestes pour un investissement raisonnable. Même de petits acteurs peuvent lancer des projets, comme on peut en voir de nombreux exemples sur les plateformes de financement participatif. L’Internet des objets est un vaste espace d’innovation, et certaines innovations qui ont marqué l’histoire ont parfois démarré dans un garage.

Les nouvelles technologies ont toujours leur part d’incertitude, et plus c’est nouveau, plus certains ont tendance à amplifier les risques réels ou imaginaires. De nombreux opérateurs s’activent à faire de l’Internet des objets connectés, un espace sûr, fiable et interopérable. Cela passe par des standards ouverts et la sécurisation des systèmes et données. Pour le monde des affaires, l’appel à une solution par objet connecté peut être un avantage concurrentiel décisif. Dans ce cadre, il serait inconscient d’ignorer ce nouveau développement des technologies sous prétexte de ses risques inhérents.