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ARM, l’acteur discret des révolutions technologiques

29 juillet 2016.
SoftBank Group, multinationale japonaise des télécommunications, fondée en 1981 par Masayoshi Son, propriétaire d’entreprises comme la nord-américaine Sprint, a annoncé l’achat le 18 juillet dernier de la multinationale britannique ARM Holdings, conceptrice de microprocesseurs, pour la somme de 24,3 milliards de livres sterling (42,3 milliards de dollars canadiens). Cette opération a été facilitée par la chute de la livre sterling à la suite du Brexit.

SoftBank Group, multinationale japonaise des télécommunications, fondée en 1981 par Masayoshi Son, propriétaire d’entreprises comme la nord-américaine Sprint, a annoncé l’achat le 18 juillet dernier de la multinationale britannique ARM Holdings, conceptrice de microprocesseurs, pour la somme de 24,3 milliards de livres sterling (42,3 milliards de dollars canadiens). Cette opération a été facilitée par la chute de la livre sterling à la suite du Brexit.

Hermann Hauser, cofondateur en 1978 de Acorn Computers, a déclaré : “C’est un triste jour pour moi et un triste jour pour la technologie britannique.” En désaccord, la nouvelle première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, s’est félicitée de cette preuve du dynamisme et de l’attractivité de l’économie anglaise.

Masayoshi Son a précisé que l’entreprise, qui emploie 3 975 personnes dont 1 577 en Grande-Bretagne, conserverait son siège à Cambridge. Certains analystes, comme James Burton du Daily Mail, craignent toutefois qu’il s’agisse d’un engagement à la Kraft, en référence aux nombreuses promesses non tenues par Kraft Foods après l’achat en 2010 de l’anglais Cadbury, événement qui est encore un traumatisme vivace chez certains Britanniques.

Les technologies ARM étant employées dans la quasi-totalité des téléphones multifonctions (Apple, Samsung, etc.), 80 % des appareils photo numériques et 35 % de tous les appareils électroniques, il s’agit d’une importante nouvelle dans le monde de l’informatique et c’est l’occasion de revenir sur l’histoire de ce fleuron technologique de la Grande-Bretagne.

A pour Acorn : Acorn RISC Machine

BBC Microcomputer System (1981).

L’histoire d’ARM est liée au développement à la fin des années 1970 d’une industrie de la micro-informatique en Grande-Bretagne, dans le sillage de Sir Clive Sinclair, créateur de Science of Cambridge à qui l’on doit les ZX80-81. Parmi les entreprises de micro-informatique de cette époque, on trouve Acorn Computers, fondée à Cambridge en 1978, qui connut le succès au début des années 1980 avec ses ordinateurs grand public : |’Atom et son successeur le BBC Micro, créé en partenariat avec la BBC pour le marché éducatif.

Comme beaucoup d’autres à l’époque (Atari, Apple, Nintendo, Commodore, etc.), Acorn travaillait avec l’économique microprocesseur 8 bits MOS 6502. Souhaitant disposer d’un processeur plus performant tout en gardant un coût raisonnable, les ingénieurs d’Acorn Steve Furber et Sophie Wilson explorent dès 1983 la possibilité de développer leur propre processeur, inspirés par le projet de recherche Berkeley RISC (Université de Californie). Ce programme de recherche posait les bases d’une nouvelle génération de processeurs à jeu d’instructions réduit (RISC). Le concept de base du RISC est d’inclure dans le processeur uniquement les instructions réellement utilisées, libérant de l’espace pour d’autres circuits. On avait découvert, par exemple, que le système Unix, une fois compilé, utilisait seulement 30 % des instructions disponibles sur le Motorola 68000. D’architecture plus simple, les processeurs RISC promettaient de meilleurs rapports prix-performance et consommation-performance, le tout dans une surface réduite.

Acorn ARM 1 (1985).

En avril 1985, Acorn reçoit les premiers exemplaires du processeur qu’il a conçu, le 32 bits ARM1 (Acorn RISC Machine 1), fabriqués en Californie par VLSI Technology.

Le premier ordinateur à utiliser un ARM en CPU fut l’Acorn Archimedes, lancé en juin 1987 avec un nouveau système d’exploitation dédié, le RISC OS (pour l’anecdote, cet OS tourne toujours sur Raspberry Pi).

A pour Advanced: Advanced RISC Machines

Apple Newton, MessagePad (1998). Photo iFixit.

En 1990, Acorn Computers s’associe à Apple (alors dirigée par John Sculley) et VLSI, dans le but de développer de nouvelles générations de processeurs ARM. À cette occasion, une nouvelle société est créée : Advanced RISC Machines Ltd, dans laquelle Apple et Acorn sont appelées à détenir 47 % du capital tandis que VLSI possèderait 5 %. Pour démarrer, Apple met sur la table 1,5 million de livres sterling, Acorn fournit une douzaine d’ingénieurs ayant travaillé sur les ARM et VLSI donne ses outils de développement.

Le premier processeur né de ce rapprochement entre le gland (Acorn) et la pomme (Apple), l’ARM6 (janvier 1992), permettra à Apple de développer en 1993 son premier assistant personnel, le Newton.

Le modèle ARM

Apple Newton, MessagePad (1998). Motherboard. Photo iFixit.

L’originalité d’ARM, c’est que l’entreprise n’a jamais fabriqué le moindre processeur. C’est l’héritage du mode fonctionnement d’Acorn Computers, qui sous-traitait la fabrication à VLSI.

Lors de la création de la coentreprise avec Apple, le principe de se limiter à la conception des processeurs a été conservé, mais une fructueuse idée a vu le jour sous l’influence d’Apple : vendre des licences d’utilisation des technologies ARM (avec un système de redevance sur chaque puce produite), notamment du set d’instructions à l’origine écrit par Sophie Wilson. Parmi les premiers clients de ces licences figurent Sharp (1992), Cirrus Logic et Texas Instruments (1993). Et de nombreux autres clients suivront…

Parmi les atouts qui font d’ARM un succès, il y a l’offre d’architectures personnalisables. Si vous avez un besoin spécifique, une entreprise spécialisée peut vous dessiner un processeur reposant sur des modules ARM et un fondeur assurera la fabrication par la suite. ARM vous proposera aussi des outils de développement pour créer, par exemple, le système sur une puce (SoC) de vos rêves.

Le virage du mobile

Nokia 6110 (1998).

En 1993, Texas Instruments est approché par Nokia qui a besoin d’un processeur pour un futur modèle de téléphone GSM. Texas Instruments a alors proposé une solution basée sur un ARM7 (comme dit plus haut, TI avait commencé à fabriquer des processeurs sous licence ARM). Mais l’empreinte mémoire du 32 bits (chaque instruction prenant 4 octets) et le coût associé à cette empreinte dissuadèrent Nokia de choisir cette solution. C’est alors qu’ARM proposa à Nokia, via Texas Instruments, de créer un sous-ensemble du jeu d’instructions ARM codées sur 16 bits, appelé Thumb. Le processeur est toujours un 32 bits, mais peut traiter en entrée des instructions sur 16 bits qui sont traduites à la volée via des circuits dédiés. De cette manière est né le ARM7T, capable de travailler en mode Thumb. Et c’est ainsi que le premier téléphone GSM à puce ARM fut l’immensément populaire Nokia 6110.

En matière de processeur pour la téléphonie mobile, le ARM7 est vite devenu le design phare et a été pris en licence par plus de 165 fabricants. Plus de 10 milliards de puces ARM7 ont été produites.

Advanced RISC Machines Ltd est ainsi devenue une entreprise solide et prospère, grâce à l’essor du mobile. Après avoir été inscrite au London Stock Exchange et au NASDAQ en 1998, la compagnie, rebaptisée ARM Ltd., se lance dans diverses acquisitions pour assurer sa croissance.

À la même époque, comme d’autres constructeurs, Acorn Computers doit se rendre à l’évidence : face aux IBM PCs et Macintosh, les ordinateurs Acorn n’ont aucune chance, et l’entreprise est réorganisée en abandonnant définitivement cette activité. Si les ordinateurs personnels d’Acorn n’ont pas eu un succès sur le long terme, l’architecture des processeurs à l’origine spécifiquement conçue pour eux sera une énorme réussite.

ARM a-t-il sauvé Apple ?

Apple iPod (2001).

Aujourd’hui, ARM pourrait être encore dans le giron d’Apple, mais ce n’est pas le cas. Et ce qui s’est en fait passé est qu’ARM a largement contribué à sauver Apple.

Lors de l’entrée au NASDAQ en 1998, Apple possédait 42,3 % d’Advanced RISC Machines et la situation de la Pomme n’étant pas des plus brillantes à l’époque, Steve Jobs décida de vendre une partie de ses actions ARM la même année, pour 24 millions de dollars. La hausse de l’action permit également à Apple de gagner 16 millions sur la valeur de son portefeuille restant.

L’année suivante, Apple vend pour 245 millions de dollars d’actions ARM, ce qui représentera 40 % du bénéfice sur le bilan d’Apple en 1999. En 2000, même scénario, avec la vente d’actions pour 372 millions de dollars, soit 47 % du bénéfice annuel d’Apple. En 2001, c’est 176 millions et en 2002, 21 millions de dollars qui rentrent ainsi dans les caisses d’Apple.

En 2003, Apple vend ce qui lui reste d’ARM pour 238 millions. Au total, ARM a procuré à Jobs la somme de plus de 1,1 milliard sur un peu plus de 5 ans. En outre, ARM fournira la technologie indispensable derrière tous les produits mobiles qui vont aider Apple à remonter la pente : iPod, iPhone, iPad.

L’avenir dans l’Internet des Objets

SoftBank.

Comme nous l’avons dit en introduction, on trouve aujourd’hui des processeurs ARM presque partout, et surtout dans tous les téléphones mobiles. Le succès est ici tel que le concurrent Intel, après une suite de décisions calamiteuses et de produits insuffisants, a carrément abandonné le marché du téléphone en avril dernier.

Cela étant dit, il faut bien comprendre que le développement du marché du téléphone mobile et des tablettes est en train d’atteindre un plateau. Même si ce marché remplira régulièrement les caisses, il ne peut pas soutenir la croissance d’ARM.

SoftBank estime cependant qu’ARM est bien placée pour profiter de l’ère de l’Internet des objets (IoT) qui commence, avec sa capacité de concevoir des processeurs à prix réduits et économes en énergie. Ces milliards d’objets embarqueront tous au moins un SoC de technologie ARM — ARM ayant déjà un monopole de fait sur toutes les applications embarquées.

En outre, ARM pourrait continuer à se développer dans le château fort d’Intel : le Cloud et les centres de données. Mais ce marché est certainement moins important que celui des produits grand public, que ce soit des téléphones ou des automobiles.

Certains investisseurs et analystes ont exprimé leur scepticisme quant à la décision de Masayoshi Son d’acheter la si coûteuse ARM Holdings. Mais Masayoshi Son répond qu’il se place sur le long terme. Il avoue ne pas bien comprendre l’obsession de la plupart pour la valorisation à court terme au bénéfice des seuls actionnaires. Cette course au profit immédiat se fait au détriment d’autres indicateurs à considérer comme l’appréciation des contributions de l’entreprise à la société.