Accelerated Mobile Pages Project, AMP en plus court, est considéré comme la réponse de Google au format Facebook Instant Article. Gratuit et en code source ouvert, ce framework est destiné à créer des pages pour mobiles plus rapides à charger, ce qui est fort louable. L’incitatif principal pour les éditeurs est la promesse de Google de mieux classer les pages qui se chargent vite dans les résultats de son moteur de recherche.
Concrètement, AMP est un framework restrictif associé à un modèle de diffusion dynamique. En effet, Google n’a rien d’inventé d’extraordinaire : pour des pages plus rapides, il faut avant tout retrancher dans les choses à charger.
Nous savons bien que ce qui ralentit les pages aujourd’hui, c’est en grande partie cette avalanche de javascripts, notamment ceux qui vous traquent au bénéfice des markéteurs. AMP propose donc une solution des plus simples : le format n’autorise pas ces scripts, ni aucun script sur mesure, ni aucun script provenant de tiers. Wow. Nous sommes impressionnés par tant de génie radical.
Pour le reste des “ralentisseurs”, la réponse de Google est similaire. La couche de design est-elle souvent lourde à charger? Et bien, c’est fort aisé à résoudre : il suffit de couper dans le design… Dans la pratique, et par exemple, les déclarations CSS sont obligatoirement inline (dans le code HTML) et sont limitées à 50 Ko, et seuls des scripts asynchrones (scripts téléchargeables en arrière-plan après l’affichage de la page) préapprouvés sont possibles.
Si vous aimez les librairies JavaScript style jQuery, Bootstrap, Angular, React, pas de chance; vous êtes limités à une seule librairie de fonctions de base : AMP JS. C’est là que l’on comprend bien qu’AMP est dédié avant tout aux pages statiques de contenu, du style articles de presse. Oubliez ainsi AMP pour tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une application Web.
Pour ce qui est de la publicité, elle ne peut être affichée que dans un tag amp-ad et ne provenir que de réseaux soigneusement sélectionnés, comme Google AdSense par exemple. Ce qui facilitera sans doute grandement le travail des bloqueurs de publicité.
Des louanges
Expérience utilisateur
S’il y a manifestement un bénéficiaire avec AMP, c’est l’utilisateur. Oui, des pages plus sobres et débarrassées de la plupart des traqueurs et publicités sont plus agréables à consulter et bien plus rapides à charger. Il y a donc de fortes chances que l’utilisateur consulte plus de pages sur un site AMP. Tout comme il le ferait sur un site mobile classique qui serait bien réalisé et optimisé.
Des critiques
Fragmentation du Web
Facebook Instant Article, Google AMP, Apple News, et demain sans doute d’autres… pour un bénéfice discutable… on peut s’interroger sur la pertinence qu’il y a à multiplier les formats.
Concernant l’initiative de Google, notons qu’il n’est guère compliqué de faire avec HTML/CSS des pages dédiées aux mobiles tout aussi rapides, et même plus rapides qu’avec AMP. D’où la question : y avait-il vraiment nécessité à créer un sous-ensemble non standard d’HTML pour faire du mobile efficacement (si ce n’est pour encadrer strictement la nature des contenus, et priver les éditeurs d’une part de leur liberté quant au choix de l’apparence de leurs articles et de la façon dont ils les monétisent)?
La multiplication de ces formats plus ou moins propriétaires, va aussi rendre la vie difficile aux éditeurs. Plutôt que de créer une seule version mobile, un éditeur doit décliner une version par canal de diffusion, sous la menace plus ou moins claire d’être “puni” (contenus moins mis en avant par un canal). Bien sûr, Google s’en défend par la voix de Dave Besbris, le VP qui supervise le projet : non, Google n’offrira pas de traitement de faveur aux pages AMP (ce qui permet de mettre en question leur intérêt). On veut bien le croire. Mais dans les faits, c’est le contraire, les pages AMP ont une mise en valeur sur Google Search, notamment avec une présentation en carrousel pour les articles de sites de presse, ce qui constitue une exception de taille. Chez Facebook, la situation est tout aussi ambiguë…
Une version Web normale, une déclinaison adaptative pour les tablettes, une version Facebook, une version Google et pourquoi pas, si vous êtes éditeur de presse, une version Apple… Tout cela a un vrai coût en développement et maintenance. Et tout ça ne va pas dans le sens de la promesse du Web ouvert, accessible et interopérable : avoir une page unique, accessible par tous, quels que soient son équipement, son réseau d’accès, son système d’exploitation, son navigateur, etc. Plutôt que d’améliorer l’expérience mobile pour tous, nous fragmentons le Web, le séparant en différentes saveurs : classique, Google, Facebook…
Une monétisation difficile
Les pages AMP génèrent aujourd’hui peu de trafic… Deux éditeurs, Slate et The Atlantic, qui proposent leurs contenus au format AMP, avouent que ces pages représentent moins de 4 % de leur trafic. Difficile dans ce cas de vendre ces pages à des annonceurs, d’autant plus que les formats publicitaires autorisés par AMP sont encore en nombre réduit, et qu’il y a de fortes chances pour que le framework interdise indéfiniment les pop-up et autres interstitiels qui sont parmi les formats les plus appréciés des annonceurs.
Un motif d’inquiétude
L’écosystème Google est peuplé de morts au combat. Il est tout à fait envisageable que Google cesse de soutenir activement ce format, ce qui signerait très probablement sa lente agonie. N’oublions pas que la principale motivation des éditeurs à utiliser AMP est l’espoir de bénéficier d’un placement favorable dans le moteur de recherche de Google. Sans le soutien actif de Google (qui dans la pratique met réellement en valeur certaines pages AMP), le format aurait sans doute beaucoup moins de charme aux yeux des producteurs de contenu.
En conclusion
Il est tout à fait possible de faire des sites mobiles aussi rapides que des sites AMP — en employant la plupart des stratégies déployées dans AMP (réduction drastique des requêtes, des JavaScript, des CSS, emploi de CDN, etc.) — tout en restant dans le cadre des standards du Web et en gardant la liberté d’échapper à certaines restrictions que l’on jugerait excessives. Puisque Google promet qu’un site normal ne serait pas désavantagé par rapport à un site AMP, pourvu qu’il soit aussi performant pour les mobiles, il est de fait difficile de percevoir un quelconque avantage décisif au format proposé par Google, surtout compte tenu de ses inconvénients et mesures coercitives. Si Google ne tient pas ses promesses — c’est-à-dire qu’il avantage les sites au format maison — à vous d’évaluer ce gain de visibilité chez Google Search au regard de l’investissement et de l’ensemble des inconvénients.