Ne obliviscaris — Atari
Ne obliviscaris. Si vous avez déjà visité le vestibule de l’hôtel du parlement à Québec, vous avez peut-être remarqué cette phrase sur les armes du Marquis de Lorne : « Gardez-vous d’oublier ». Même si cette phrase fut écrite il y a plus de cent ans, cette mise en garde n’a jamais perdu de sa pertinence.
Et même à l'ère de l'information, où pratiquement toute information reste à un clic de souris de nous, plusieurs des géants qui ont jadis dominé le monde de l'informatique ont, sois disparu, ou se sont effacé avec le temps. Mais pourtant, encore aujourd'hui, certaines entreprises répètent les mêmes erreurs.
Dans les prochaines semaines, dans une série d'articles publiés sur ce blogue, je ferais un bref retour en arrière des plus grandes erreurs du monde informatique.
Atari
Atari (当たり) est un des premiers empires à s'être affaissé. Créé en 1972, Atari s'occupera principalement de produire des bornes d'arcade. La compagnie s'impose rapidement avec trois titres très populaires : l'éternel classique Pong, Space Race et Breakout. Quelques années plus tard, Atari s'aperçoit qu'il y a érosion de son marché par l'apparition de jeu vidéo conçu pour la maison, des consoles possédant une ou deux manettes, permettant de jouer à généralement un ou quelques jeux.
L'ascension
C'est en 1977 qu'Atari frappe un gros coup. Elle lance la première console de jeu moderne : l'Atari 2600. Elle est révolutionnaire pour trois raisons :
- Elle était constituée uniquement de pièces standards, disponible facilement sur le marché de l'époque, ce qui lui permet d'être très peu dispendieuse à construire. Elle coûtait 40 US$ à produire, alors que le prix de vente moyen était de 200 US$.
- Elle était la première console offerte sur le marché qui permettait de jouer à des jeux qui n'étaient pas disponibles lors de la conception de la console.
- Mais c'est surtout, elle permettait, moyennant un faible investissement et un peu de connaissances techniques, à des programmeurs, autant professionnels qu'amateurs, d'inventer de nouveaux jeux.
Pendant six longues années, une éternité en informatique, l'Atari 2600 domine le marché, avec plus de 30 millions de consoles vendues. Son plus proche compétiteur de l'époque, l'Intellivision, n'a que 3 millions de consoles vendues. Le jeu Pac Man est écoulé à 7 millions d'exemplaires. Le rythme des sorties de nouveaux jeux ne cesse d'augmenter. Pratiquement tous les magasins de jouets possèdent une section dédiée à la console, ses accessoires et ses jeux.
La chute
Mais tout chavire en 1983. Le marché des jeux vidéos implose, les studios de jeu commencent à détruire des centaines de milliers d'exemplaires de cassettes invendus qui encombrent leurs inventaires. Les magasins cessent de les proposer à leurs consommateurs. Pourquoi ?
Comme ça arrive souvent, ses forces se sont lentement transformées en faiblesses.
- Le fait que l'Atari est fabriqué de pièces standards permettait à n'importe quel manufacturier de construire des consoles compatibles. Mais dans plusieurs cas, ces clones possèdent des défauts et des particularités que la console originale n'a pas, rendant certains jeux, pourtant conçus dans les règles de l'art, injouables ou bogués.
- La quantité innombrable de programmeurs amateurs qui tentent leur chance dans le domaine du jeu vidéo créé un phénomène. Le nombre de jeux disponible devient important, mais en même temps la qualité n'est pas au rendez-vous. Beaucoup de jeux sortent sur le marché en étant de piètres qualités, bogués et sont extrêmement succincts.[1] Outre le bouche-à-oreille (les magazines et l'Internet n'étant pas disponible à l'époque), il est impossible aux joueurs de savoir quels jeux en valent leur prix. Les consommateurs perdent confiance en la console et ses produits dérivés, les ventes deviennent anémiques.
Les bons élèves
Nintendo
Si le marché des jeux vidéos a vécu un krach en 1983, il lui faudra quelques années pour se remettre. Nintendo, un éditeur de jeu qui s'était essentiellement, jusqu'à 1983, concentré sur les bornes d'arcades, décide de s'attaquer à cette part de marché laissé vacante par son ancien compétiteur. Pour rétablir la confiance des consommateurs, ils prennent deux importantes mesures :
- Ils décident d'exclure les programmeurs amateurs, ne laissant que les professionnels écrire de nouveaux jeux pour leurs plateformes.
- Ils décident d'implanter un système permettant seulement aux jeux ayant subi une évaluation de qualité positive [2] de pouvoir fonctionner sur leur console.
Apple
Lors du lancement de leur nouvelle plate-forme, iOS, Steve Jobs était soucieux d'avoir un appareil épuré de tout défaut. Il imposera deux limitations à la plate-forme :
- Soucieux de n'avoir des applications qui respectes les nouvelles règles de convivialité qu'il a créé, il demandera à ses développeurs de rendre impossible le port direct des interfaces graphiques. Il voulait ainsi forcer les concepteurs de tierces parties de repenser leurs approches en terme d'interface graphique.
- Il instaurera un système de validation des applications. Si sa plus importante mission était d'exclure les applications qui risqueraient de miner l'expérience utilisateur qu'il voulait créer, ça ne leur a pas empêché d'instaurer une ligne éditoriale sévère qui contrôlait la nature du contenu que les applications pouvaient afficher.
[1] Le jeu le plus court sur Atari 2600 dure 2 secondes, du début à la fin.
[2] Pour ceux qui connaissent le Angry Video Game Nerd ou le Joueur du Grenier, vous savez déjà que les normes de Nintendo sont rapidement devenues plus souples avec le temps.