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L’aventure quantique de Microsoft

12 octobre 2017.
Lors de sa récente conférence Ignite, les dirigeants de Microsoft ont dévoilé que l’entreprise travaillait sur un langage de programmation destiné à un type d’ordinateur qui n’existe pas encore : l’ordinateur quantique. Ce langage a été principalement développé dans son laboratoire Station Q à Santa Barbara, dans lequel Microsoft a beaucoup investi dernièrement : l’effectif a été triplé depuis un an. Il s’intégrera dans Visual Studio et fonctionnera également avec un simulateur quantique.

La nouvelle frontière

Microsoft croit que l’informatique quantique devrait devenir un enjeu technologique majeur au cours des prochaines années. Selon l’analyste Jack Gold, « L’informatique quantique est la prochaine phase en matière de calcul informatique. C’est la nouvelle frontière, et Microsoft veut en être un acteur majeur ».

Quanti… quoi ?

L’informatique quantique est un sujet complexe difficile à appréhender. Disons, en simplifiant beaucoup, qu’au lieu d’encoder l’information sur des transistors en système binaire comme maintenant (les seules valeurs possibles d’un bit étant 0 et 1), on l’encode plutôt dans des bits quantiques, ou qubits. À l’image du bit, le qubit est la plus petite unité de stockage en informatique quantique, mais la différence, c’est qu’il peut stocker deux états quantiques, c’est-à-dire une superposition simultanée d’états. L’avantage d’un ordinateur quantique, c’est que sa puissance de calcul croît exponentiellement à chaque ajout de qubit. Un ordinateur de quelques milliers de qubits permettrait de résoudre des problèmes non accessibles aux calculateurs actuels. Il brillerait en particulier dans la simulation de systèmes complexes.

La particularité de Microsoft

IBM et Google se sont également lancés dans la course, ainsi que plusieurs laboratoires universitaires. La particularité de Microsoft, c’est d’avoir choisi une voie technologique pour fabriquer des qubits qui est plus ardue, mais qui est prometteuse : celle d’encoder de l’information dans des quasi-particules bidimensionnelles appelées des « anyons non-abéliens ». Réussir une percée à ce niveau résulterait probablement en des qubits plus robustes, c’est à dire moins sujets aux interférences (résistants à la décohérence) que ceux des compétiteurs. Le nanomonde est en effet particulièrement sensible aux influences extérieures qui détruisent les fragiles états quantiques.

C’est justement cette distinction qui intéresse les analystes et leur fait croire que Microsoft pourrait très bien prendre de l’avance sur IBM, Google et les autres. Il s’agit d’une question de « matière quantique topologique, » basée sur de récentes avancées scientifiques et sur laquelle Michael Freedman, mathématicien de renom et employé de Microsoft depuis une vingtaine d’années, a travaillé. Si vous voulez mieux comprendre l’apport de la topologie à l’informatique quantique, je vous invite à lire l’article de l’Institut Périmètre de physique théorique intitulé “Comment transformer un bagel en un pantalon — et à quoi cela pourrait-il servir”.

Michael Freedman.

Station Q Director Michael Freedman. Photo Brian Smale. © Microsoft.

Que fera Microsoft de ses nouveaux outils ?

Il est probablement encore trop tôt dans le projet pour établir de manière claire ce que Microsoft voudrait faire d’un éventuel ordinateur quantique : le vendre par lui-même ou encore l’incorporer à Azure, sa solution infonuagique ? Selon Todd Holmdahl, vice-président de la recherche quantique chez Microsoft, même si l’entreprise n’a pas encore tranché, la place la plus logique pour un ordinateur quantique serait justement dans le cloud, entre autres parce que tout ordinateur quantique a besoin d’un ordinateur « classique » pour le contrôler.

Dans un avenir plus rapproché par contre (normalement d’ici la fin de 2017), les développeurs qui le souhaitent pourront faire rouler le simulateur quantique de Microsoft sur leur propre machine (qui devra être plutôt puissante) et se servir du nouveau langage de programmation pour créer des applications. Ce langage emprunte conceptuellement à C#, F# et à Python, ce qui fait dire à différents experts qu’il ne sera pas trop compliqué à assimiler pour quelqu’un avec de bonnes bases en programmation.

« L’idée est de proposer une solution full-stack pour contrôler les ordinateurs quantiques et leur écrire des programmes, » a expliqué Krysta Svore, chercheuse au siège de Redmond.

Et la révolution est pour quand ?

Les experts ne s’entendent pas nécessairement sur l’arrivée de l’informatique quantique. Alors que Jack Gold prédit que certaines applications commerciales pourront arriver sur le marché dans un horizon d’environ 5 ans, Kevin Curran, membre senior de l’IEEE et professeur de cybersécurité à l’Université d’Ulster, prévoit encore une bonne décennie avant que le volume de qubits nécessaires soit atteignable de façon opérationnelle. Charles King, analyste principal chez Pund-IT, est quant à lui plus optimiste : il croit que des systèmes pratiques et utiles verront le jour d’ici 2 à 3 ans. Concernant la solution de Microsoft, il faut savoir que les anyons non-abéliens n’ont pas encore été mis formellement en évidence de façon expérimentale, leur existence étant pour l’instant avant tout théorique.

Si le sujet vous intéresse, le site de Microsoft comporte une section entière sur l’informatique quantique.