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Outils de paiement : la difficulté à innover

10 mai 2017.
Des premières cartes de paiement au début du siècle dernier aux Apple Pay et Google Wallet, les nouveautés en matière de transactions peinent à percer. Les récentes tentatives de “cartes intelligentes” semblent toutes devoir être condamnées à l’échec. Les moyens de paiement sont un marché difficile.

Un peu d’histoire

De tout temps, le crédit a toujours été associé de très près au commerce. Marchands et clients ont toujours su trouver des arrangements pour permettre le flux des marchandises ! Cependant, le concept de la carte de paiement/crédit est né beaucoup plus tard, au début du XXe siècle. Certains grands magasins ainsi que des compagnies pétrolières ont alors commencé à développer le concept de cartes à paiement différé (“Charge cards”), acceptées seulement dans leurs propres établissements. En 1946, la première carte bancaire est née avec Charg-it, de la banque Biggins, à Brooklyn. La carte Diners Club a quant à elle été introduite en 1949. Puis en 1958, l’entreprise American Express, jusqu’alors une entreprise de messageries concurrente de la poste américaine, qui proposait aussi des outils financiers (mandats, chèques de voyage), a introduit sa célèbre carte. 1966 est l’année où MasterCard et Visa ont toutes deux emboîté le pas en lançant les fameuses cartes en plastique à bande magnétique — que nous utilisons encore aujourd’hui !

Évolutions technologiques

À peu de choses près, ces cartes ont peu évolué depuis 50 ans, leur format demeure similaire et encadré par des normes. La première carte en plastique embossée date de 1959 (American Express) et les premières cartes à piste magnétique sont apparues au début des années 1970. Depuis, il y a eu la révolution de la carte à puce (Carte Bleue, 1992)… mais l’objet reste toujours un morceau de plastique mesurant très précisément 85,60 × 53,98 mm, le marché des cartes est toujours essentiellement dominé par les mêmes deux joueurs principaux (Visa, Mastercard) et les nombreux efforts pour réinventer la manière de payer se sont révélés jusqu’à maintenant souvent vains. 

Bien sûr, des systèmes comme Apple Pay, Google Wallet et même Samsung Pay offrent la promesse de changer radicalement le processus de paiement, avec des informations stockées dans le téléphone, mais c’est toujours avec Visa et Mastercard en arrière-plan. Et l’adoption généralisée de ce type de système se fait encore attendre, malgré les prédictions initialement très enthousiastes des analystes. De plus, en dehors des paiements dans les cafés, les restaurants ainsi que les autres commerces du même genre, les habitudes demeurent bien difficiles à changer. 

Bien des ratés

Plastc card.

Au sein de ce domaine, le dernier joueur en date à se casser les dents est Plastc, une compagnie de Silicon Valley. Celle-ci promettait de réinventer la carte elle-même en proposant une version « intelligente » qui combinait jusqu’à 20 cartes dont un consommateur pouvait avoir besoin — débit, débit différé, crédit, cadeau, fidélité, etc. — en une seule. Cette carte promettait d’offrir tous les mécanismes de sécurité actuellement disponibles : MagStripe, RFID-NFC, puce… y compris de moins courants comme le déverrouillage par code saisi sur la carte elle-même (sur écran E-Ink) et le déverrouillage par téléphone via Bluetooth.

Fondée en 2014, l’entreprise avait amassé plus de 9 millions de dollars en précommandes, à coups de 135/155 $ par carte. Alors que les fameuses cartes devaient être envoyées vers la fin de 2016, les acheteurs se sont retrouvés sans nouvelles. Et maintenant, la société vient de fermer ses portes et dit vouloir se placer sous la protection de la loi sur les faillites. Il est probable que les « backers » ne reverront jamais la couleur de leur argent.

Le plus étonnant, c’est que Plastc est loin d’être un cas isolé ! Encore récemment, l’entreprise était même vue comme celle qui allait sauver cette niche de la « carte de crédit réinventée », jusque-là vouée à l’échec. Parmi les condamnées, on peut citer Coin, acquise par FitBit en 2016, puis disparue au début de cette année. Swyp, la carte programmable de la startup Qvivr connaît quant à elle de multiples reports de sa date de disponibilité depuis plus de trois ans. La technologie de Stratos, une autre carte intelligente qui a fait l’objet elle aussi de nombreux retards, a été rachetée en janvier dernier après une entreprise danoise après que Statos ait cessé ses activités en décembre 2016. 

Une problématique pas si évidente…

decorative

Qu’est-ce qui explique tous ces ratés ? Entre autres, un mauvais « timing » et la technologie. La plupart de ces cartes intelligentes ou « tout-en-un » reposaient en effet essentiellement sur une bande magnétique dynamique, qui permettrait théoriquement aux consommateurs de charger plusieurs cartes sur la même. Une fois en magasin ou au point de vente, la carte intelligente peut passer, tel un caméléon, pour la bonne aux yeux du système de paiement et du marchand. Mais… en même temps que ces cartes tentaient de révolutionner la manière de payer, les points de vente ont enfin commencé en Amérique à abandonner graduellement la bande magnétique pour la puce. En outre, ces cartes étaient dès leur naissance non commercialisables en Europe, là où la carte à puce est devenue un standard des transactions depuis le début des années 1990.

Certes, la Plastc brillait du fait qu’elle proposait aussi une puce “dynamique”, mais l’entreprise n’ayant jamais sorti son produit, on ignore si elle était vraiment en mesure de maîtriser cette technologie clef.

On notera aussi que la plupart des consommateurs et des commerçants demeurent très conservateurs en matière de moyens de paiement et les nouveautés ont des difficultés à émerger, du moins rapidement (ce qui est incompatible avec le cycle d’une start-up). Selon James Wester, analyste en paiement chez IDC Financial Insights, « essayer de percer le marché du paiement est très difficile ». Alors que les institutions financières distribuent des cartes gratuites et qui fonctionnent, l’analyste posait de plus une question qui fait réfléchir… « Est-ce que le problème de transporter trop de cartes sur soi vaut la peine de débourser plus de 50 $ pour être réglé ? Quand votre plus gros concurrent est un produit gratuit, ça devient très dur… »

Visa et MasterCard tentent quant à elles de renouveler leur offre avec des cartes plus sécuritaires. MasterCard vient d’ailleurs d’annoncer le début des tests sur une carte comportant un lecteur d’empreinte digitale, compatible avec les terminaux actuels. 

La longue marche vers des paiements plus faciles, plus sécuritaires, sans contact se poursuit donc lentement. La bonne vieille carte en plastique, qui a plus de 50 ans, domine toujours, mais pour combien de temps encore ?